05/09/2014
"Scandale Thévenoud" : une allégorie ce que devient la classe politique en post-démocratie
...à l'ère de l'élément-de-langage et du storytelling :
Rires nerveux chez les spectateurs : les catastrophes pleuvent sur François Hollande. La dernière en date est Thomas Thévenoud, viré en cinq minutes de son poste de secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, pour « retards de déclaration et de paiement de ses impôts » : cela neuf jours après la formation du gouvernement Valls2 qui devait être celui de la « cohérence ». Huées ! clameurs ! « analyses » (« au plus près ») sur les plateaux de télévision : Thévenoud et Trierweiler, et la douche dans l'île de Sein, et le sondage à 13 % ! et le gouvernement en panne de « storytelling » ! etc.
Arrêtons-nous sur storytelling. Ce mot est le nouvel élément-de-langage des journalistes politiques. Il est censé donner la clé de tout.
Comme le reste de la novlangue politico-médiatique, le terme storytelling(« raconter-une-histoire ») vient du milieu de la pub : selon les experts, « le 'storytelling', ou 'conte de faits', ou 'mise en récit', ou 'narratif', est une méthode utilisée en communication, fondée sur une structure du discours qui s'apparente à celle des contes. »
La structure du storytelling consiste à : « 1. capter l'attention, 2. stimuler le désir de changement, 3. ajouter des arguments raisonnés. » L'objectif est de « passer par l'émotion » pour amener le public à acheter. Le fin du fin est de faire croire au consommateur qu'il est « co-auteur de l'histoire de l'entreprise » : ça c'est l'arnaque suprême, l'économie Disneyland ; « le storytelling est une pratique inhérente au néocapitalisme », explique le sociologue Christian Salmon.
En politique, souligne Salmon, le storytelling applique les recettes du marketing « et conduit à une machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits ». Moins les résultats économiques sont là, plus la classe politique utilise le storytelling, avec la complicité « pro-active » (encore la novlangue) des médias pipolisés.
Thévenoud est un exemple de la facticité et de la fragilité du storytelling. A Frangy-en-Bresse, Arnaud Montebourg présente cet inconnu comme « le meilleur d'entre nous » ; neuf jours après sa nomination, le meilleur est liquidé ; le storytelling est donc un petit appareil ménager doté de neuf jours d'autonomie. Mais entre temps, le 27 août, le Journal de Saône-et-Loire avait qualifié Thévenoud de « symbole de la nouvelle génération politique », en ceci (disait un spin-doctor) que « Thévenoud prend bien la lumière » : c'est ce qu'on dit d'un présentateur télé... FR3 célébrait donc « le parcours politique et médiatique (sic) sans faute de ce nouveau venu au gouvernement ».
Voilà. Relisez les quarante lignes ci-dessus, et vous avez un tableau de la classe politique dans ce que Zinoviev appelait « la postdémocratie occidentale ».
11:04 Publié dans Idées, Politique | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : politique
Commentaires
NOVLANGUE
> Record de novlangue ce matin à France Info :
- l'invité déclare que le gouvernement est en panne de "storytelling" ;
- la journaliste explique : "Vous voulez dire : en panne de narratif".
Si vous n'êtes pas pubard, vous ne pouvez plus comprendre ce que disent les médias.
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Écrit par : A. Ancelin / | 05/09/2014
SYMBOLE
> Le Journal de Saône-et-Loire était dans le vrai avec son « symbole de la nouvelle génération politique »: faites ce que je dis, pas ce que je fais.
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Écrit par : Pierre Huet / | 05/09/2014
@ Ancelin
> "Suite à" "l'assomption" du nouveau gouvernement, on pensait que le "rapport à" l'action serait "compliant" avec le "story telling" "généré" par le gouvernement mais il va falloir "repenser l'action".
idem pour l'éducation nationale** où il va falloir "repenser le" "rapport aux" "géniteurs des apprenants"
"géniteurs des apprenants" = parents d'élèves ( véridique !)
**éducation nationale = normalement "enseignement public" car l'éducation est à la charge des parents -pardon- les géniteurs des apprenants sont "en charge du" (in charge of) rapport à l'éducatif.
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Écrit par : e levavasseur / | 05/09/2014
MÉCANISER
> Même l'administration tombe dans ce langage technoïsant, j'ai participé dans un grand ministère à la mise en place de normes qualité, désormais le vocabulaire de la direction est truffé de : "process" - "procédure" - "cash-flow" - "workflow" - "efficience" - "roue de deming" - "cartographie des processus" - "indicateurs de performance".
Le style administratif ampoulé façon 19e a juste été remplacé par un habillage technique et jargonnant anglo-saxon avec à la clé une belle image (certification), dont l'objectif réel dans ce ministère (au-delà de l'objectif affiché d'efficacité/efficiente) était de nous démarquer de directions concurrentes.
Sans parler de la tendance administrative à tout vouloir écrire (j'ai écrit donc je bosse) qui couplée à la logique (mal comprise) des normes ISO se solde par des centaines de procédures stockées dans un référentiel inconnues des agents.
Des cabinets d'audit se font de l'argent (et nous en perdons) sur l'illusion qu'on peut mécaniser une administration.
Ce ministère étant moteur sur le sujet, il y a fort à craindre que cette lubie coûteuse s'étende.
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Écrit par : DV / | 05/09/2014
DENT-ESQUE
> La particularité de la post-démocratie à la mode F. Hollande, c'est qu'avec lui, tout prend une tournure dent-esque. Mais que nos élites mentent comme des arracheurs de dents, nous le savions depuis longtemps.
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Écrit par : Aurélien Million / | 05/09/2014
> Carrière de fusée d'artifice: ça monte, ça monte très vite et.... boum!
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Écrit par : Pierre Huet / | 05/09/2014
@ Levavasseur:
> "géniteur" d'apprenant à l'heure de la PMA-GPA et de la théorie-du-genre-qui-n'existe-pas, ça me paraît fort politiquement incorrect, non?
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Écrit par : grzyb | 05/09/2014
Réponse à DV :
> l'affaire Luc Chatel nous a appris cet été que les consultants savent remercier les ministres qui leur ont passé des commandes !
Sur le fond, il y a une ignorance profonde des mécanismes administratifs qui se prêtent mal à la mécanisation justement...
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Écrit par : Roger / | 06/09/2014
CLASSE
> Thévenoud est-il une "personnalité clivée" comme disent les psychiatres ? On peut se poser la question quand on lit qu'au moment même où il tenait des propos sévères sur Cahuzac et sur les fraudeurs fiscaux, lui-même ne faisait aucune déclaration et ne payait rien alors que ses revenus étaient importants : il n'est pas un "sans- dents" semble-t-il.
Déni du réel, sentiment de toute-puissance, mensonge et cynisme sans retenue... Est-il seul de son espèce au sein de la classe politico-médiatique ?
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Écrit par : B.H. / | 06/09/2014
AU CATÉ AUSSI
> En qualité de modeste catéchiste, je reçois un "reporting" après chacune de nos réunions...
cristiana
[ PP à Cr. - C'est la contamination de l'évangélisateur par la mentalité commerciale : phénomène contre lequel le pape François met gentiment en garde.
Cette mise en garde n'est pas comprise de gens dévoués, mais pris dans leurs réflexes de milieu professionnel... ]
réponse au commentaire
Écrit par : cristiana / | 06/09/2014
PRÉSENTATION
> La présentation du retard de ce monsieur est complétement fallacieuse et relève de la désinformation :
Il aurait un retard de 3 ans.
Il est curieux que ce retard soit déclaré de 3 ans : 3 ans c'est exactement le délai de prescription.
Je n'ose imaginer qu'aucun journaliste n'ait fait le rapprochement ni posé la question.
Ce monsieur me semble être plus un fraudeur régulier qu'un "étourdi".
Comment un parti politique peut-il donner une investiture de député, nommer ministre un tel "étourdi" ?
Pourquoi une telle complicité des média ? Cela va encore favoriser certains partis contestataires (suivez mon regard) et ces même média se poseront mille questions pour chercher les causes de cette montée !
(Encore et toujours Bossuet : "Dieu se rit de ceux qui déplorent les conséquences dont ils chérissent les causes".)
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Écrit par : franz / | 06/09/2014
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